17/10/2012
Tom Wolfe : Un homme, un vrai
L’écrivain Tom Wolfe nous a habitué à ses énormes bouquins et ce Un homme, un vrai est du même gabarit avec ses 1000 pages ! Parfois pour ne pas dire souvent, le plus est l’ennemi du bien, pourtant ici encore Tom Wolfe réussit l’exploit de nous tenir en haleine tout du long. Il ne s’agit pas du tout d’un polar dont on voudrait absolument connaître le dénouement, non, mais d’un livre d’une incroyable richesse de documentation qui a certainement demandé un énorme travail de recherches et de compilation d’informations. Ce roman peut se comparer à un volume de La Comédie Humaine, nous ne sommes pas loin de Balzac pour sa peinture d’une certaine société et de ses mœurs. Lucide, cruel, critique, très vrai et plus proche de nous puisque le roman date de 1998, ce magnifique ouvrage nous met le nez dans notre époque, où du moins dans certains mondes de notre époque.
Charlie Croker est un ancien athlète de haut niveau du football américain à la carrure imposante, parti de rien du fin fond de sa Géorgie (un « péquenaud » de Sudiste) il est devenu le principal entrepreneur immobilier d’Atlanta. Le fric tombe de ses poches par liasses, propriétés, avions privés, voitures de luxe, il est une figure marquante de la haute société locale, plus pour son argent que pour ses manières ou sa distinction. Au crépuscule de sa carrière il s’est engagé dans un projet de construction pharaonique qui doit couronner son ego mais qui va l’acculer à la ruine. Ca c’est la trame du roman, mais en parallèle nous suivons aussi les aventures d’un brave gars, manutentionnaire mis au chômage, qui par une succession de coups du sort va se retrouver en tôle, au milieu de fous furieux. Il y a aussi un jeune black vedette du football accusé du viol d’une fille blanche de la société huppée de la ville ; le maire noir de la ville qui manœuvre en vue des prochaines élections municipales en jouant sur d’éventuelles émeutes raciales, d’un jeune avocat noir aussi, ami du maire et aux dents longues, des membres d’une banque qui veulent récupérer les prêts accordés à Charlie Croker et bientôt tous ces personnages sont mis en rapport, plus ou moins directement.
Quand je parlais de Balzac en version moderne, je n’en étais pas loin car Tom Wolfe nous immerge dans le monde de la finance et des affaires, de la politique et des élections, d’un pénitencier avec ses rites et ses codes, du travail dans les entrepôts frigorifiques. Tout est magnifiquement documenté et décrit dans ses moindres détails ; nous passons d’une réception dans une plantation du Sud avec banquiers et politiques, à une cellule dans un pénitencier.
Contre toute attente, un dernier personnage fera son apparition par le biais d’un livre, Epictète le philosophe latin. Stoïcien il avait une vision de la vie fondée sur la différence entre ce qui dépend de l’individu et ce qui n’en dépend pas. C’est ce principe appliqué in fine par Charlie Croker qui, d’une certaine manière, le sauvera. Mais je vous laisse deviner comment.
Non pas un livre mais une somme, un chef-d’œuvre à lire absolument. La construction habile, le ton enlevé, certaines scènes inoubliables, font que j’ai littéralement dévoré le bouquin.
« - Incidemment, dit Wes Jordan, juste pour bien mettre les choses en perspective, deux tiers d’Atlanta intra-muros sont maintenant dans notre dos. (Il désigna l’arrière avec son pouce.) Ainsi que soixante-dix pour cent de la population. Mais, pour le reste du monde, c’est invisible. Est-ce que tu es tombé par hasard sur un de ces guides d’Atlanta qu’ils ont publié au moment des Jeux Olympiques ? De gros machins épais, certains en tout cas, de vrais bouquins, et au début, je n’en croyais pas mes yeux. C’était comme si rien n’existait au-delà de Ponce de Leon, rien à part l’hôtel de ville, CNN, et le mémorial Martin Luther King. Les cartes – les cartes, tu m’entends ! – étaient toutes tronquées… coupées en bas… pour qu’aucun touriste blanc ne pense même à s’aventurer dans l’Atlanta Sud. Elles ne mentionnaient même pas Niskey Lake ou Cascade Heights. – Ca ne me désole pas vraiment. – Moi non plus dit Wes, mais tu vois le tableau, non ? »
Tom Wolfe Un homme, un vrai chez Pocket
14:18 Publié dans Etrangers, ROMANS | Tags : tom wolfe | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook |